Interview avec Pablo Fernández de Larrinoa, Directeur du Monk Seal Conservation Program (Fundación CBD-Hábitat/Annajah)

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous raconter votre parcours ? Que faites-vous au sein du PCPM ?

Je suis Pablo Fernández de Larrinoa, directeur du Programme de Conservation du Phoque Moine (PCPM). Je fais partie d’une équipe hispano-mauritanienne : le travail de terrain se fait en Mauritanie, tandis que la conception et la gestion des projets sont pilotées depuis Madrid. J’ai une formation en sciences de la mer et j’ai rejoint le PCPM en 1998 en tant que volontaire. Depuis 2000, je me consacre pleinement à la conservation du Phoque Moine de Méditerranée au sein du programme.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager dans la préservation de la biodiversité et à travailler sur ce projet en particulier ?

J’ai toujours été intéressé par la conservation des espèces menacées, notamment les mammifères marins. En 1997, une mortalité massive de phoques moines a été signalée. Cela m’a marqué et m’a poussé à proposer mon aide en tant que bénévole, initiant un engagement qui se poursuit depuis plus de 25 ans maintenant.

En quoi consiste plus précisément le Programme de Conservation du Phoque Moine ? Pouvez-vous nous parler de cette espèce et de la nécessité de la protéger ?

Le programme est conçu dans le cadre d’un plan d’action international impliquant quatre pays : la Mauritanie, le Maroc, le Portugal et l’Espagne. Nous collaborons avec les autorités nationales, locales et plusieurs partenaires pour protéger l’espèce, en développant divers projets. Les principales populations atlantiques de phoques moines se situent au Cap Blanc en Mauritanie, et à Madère.

Nos efforts se concentrent sur plusieurs axes :

  • La protection directe de l’espèce: Préserver la population existante au sein de la réserve Côte des Phoques en limitant les perturbations dans les zones de reproduction et en réduisant les captures accidentelles dans les filets de pêche, en particulier celles des juvéniles.
  • Le suivi scientifique et l’amélioration des conditions de protection : Assurer un suivi rigoureux et permanent de l’espèce au Cap Blanc grâce à des caméras placées à l’entrée des grottes, des pièges photographiques et des balises GPS. Ces outils permettent d’étudier leurs déplacements, d’identifier les espèces et les habitats clés et de mieux adapter les mesures de conservation.
  • Mais aussi beaucoup d’action sociale : Sensibiliser et impliquer les pêcheurs de Nouadhibou ainsi que les écoles locales pour favoriser la cohabitation et renforcer la protection des phoques moines à long terme.

Depuis les années 2000, la situation s’est nettement améliorée, et les chances de survie de l’espèce sont bien plus grandes aujourd’hui. 

En quoi ce projet (Cap Alzaz) est important pour la conservation du phoque moine ? En quoi consiste-t-il concrètement ?

À court et moyen terme, notre priorité était d’éviter l’extinction de l’espèce dans la région en créant des conditions favorables à son rétablissement et à sa reproduction, un objectif que nous avons atteint. Cependant, pour garantir la survie de l’espèce à long terme, les populations du Cap Blanc et de Madère restent insuffisantes. Au Cap Blanc par exemple, les phoques moines vivent principalement dans des grottes marines, un habitat précaire où la mortalité juvénile est élevée en raison des éboulements, de l’érosion, des tempêtes ou encore de la montée du niveau de la mer.

C’est pourquoi les autorités des 4 pays signataires du plan d’action ont décidé d’établir de nouvelles populations dans d’autres zones afin de renforcer ses chances de survie : c’est le projet de “création d’un réseau de populations dans la région”. L’idée est de créer de nouvelles populations dans de nouvelles zones propices à l’espèce, à partir de translocations d’individus de la population de la péninsule de Cap Blanc.

En quoi consiste-t-il concrètement ? Quelles sont les étapes du projet, passées et à venir ?

La réussite de cette initiative repose sur le développement d’une méthodologie d’acclimatation adaptée, inspirée des recherches menées à Hawaï sur une espèce jumelle du phoque moine. Nous finalisons actuellement ces protocoles, essentiels pour garantir une implantation durable.

Dans ce cadre, un projet pilote a été lancé en 2023 au Cap Alzaz, un site proposé par le PNBA. La population du Cap Blanc étant désormais assez importante, quelques individus y seront transférés pour tester cette approche. Pour préparer cette étape, un enclos d’acclimatation et des infrastructures pour les équipes ont déjà été mis en place. La première translocation est prévue en 2025, avec pour objectif d’évaluer cette méthode avant d’initier la création des nouvelles populations.

Quel rôle a joué le financement du BACoMaB dans la mise en œuvre de ce projet ?

Le BACoMaB joue un rôle crucial, bien au-delà du financement de la translocation. Son soutien garantit la continuité du programme à long terme, là où d’autres bailleurs contribuent au financement de projets spécifiques. Sans son appui, l’existence même du programme de conservation du phoque moine serait menacée. Depuis 2018, le BACoMaB finance la surveillance et le suivi de la colonie.

À ses côtés, plusieurs partenaires techniques et financiers jouent un rôle clé dans la mise en œuvre des actions. Les partenaires institutionnels, comme le PNBA, l’IMROP et le ministère de l’Environnement accompagnent la mise en œuvre des actions de conservation. Sur le plan technique, le programme de gestion du phoque moine à Hawaï et la Fondation Parques Reunidos apportent leur expertise en matière d’acclimatation, de suivi vétérinaire et de bien-être des individus transloqués. Enfin, le soutien financier de bailleurs tels que le BACoMaB, la Monk Seal Alliance, la Fondation Audemars Watkins et le PRCM permet d’assurer la pérennité du programme et de développer de nouvelles initiatives. 

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté dans la surveillance de la colonie des phoques moines ?

“Le défi principal est de poursuivre nos efforts pour protéger la colonie existante tout en construisant un nouveau réseau de populations.”

Grâce aux actions menées depuis 20 ans, des progrès significatifs ont été réalisés : la population a augmenté, améliorant ainsi ses chances de survie. L’enjeu, aujourd’hui, est d’étendre ces efforts à d’autres sites pour renforcer la résilience de l’espèce, notamment face aux impacts croissants du changement climatique sur ses habitats et ses sites de reproduction. Dans ce contexte, la réintroduction dans de nouveaux territoires est une priorité.

Un mot de la fin ? Selon vous, qu’est-ce qui est essentiel pour renforcer la conservation à long terme ?

L’essentiel est de garantir un engagement fort et durable de toutes les parties prenantes. La conservation ne peut réussir que si nous intégrons les communautés locales, les décideurs politiques et les acteurs scientifiques dans une démarche commune et cohérente. La persévérance et la coopération internationale sont les clés du succès.

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